Sortie de l’Europe : pourquoi j’ai voté « non »


Le premier point à l’ordre du jour de ce conseil territorial du 8 octobre 2009
a été le débat sur l’intérêt de sortir ou non de l’Europe, plus précisément sur le passage du statut de RUP à celui de PTOM. Le vote final, sans grande surprise a été favorable à cette sortie,
avec deux abstentions (je crois) et un seul vote contre.

Voilà peu ou prou l’argumentaire que j’ai développé en séance et selon lequel, d’après moi, en demandant le passage en PTOM on fait le mauvais choix.

1 / Sur le plan de l’idéal européen, nous faisons marche arrière.

L’Europe, ce n’est pas qu’un marché commun, une monnaie commune, des contraintes économiques ou douanières.

Après les échecs de l’entre-deux guerres, l’Europe est l’accomplissement d’une utopie qui date du 17ème siècle (où Sully évoque son projet de Confédération Européenne pour éviter les guerres)
et a mis 3 siècles à se concrètiser.

Je ne vais pas m’étendre sur le rôle de l’Europe mais il me paraît utile de rappeler qu’elle a joué et joue encore un grand rôle dans le maintien de la paix sur le continent, dans la définition
d’un modèle de démocratie sociale, dans l’accès de ses habitants à un haut niveau de qualité de vie.

Aujourd’hui, et ce sera de plus en plus le cas avec les institutions issues du traité de Lisbonne, que l’Irlande vient de ratifier, l’Europe jouera un rôle diplomatique plus important, incarné
par un président européen.

Concernant les autres politiques portées par l’Europe, je pense que nous devons les cautionner : politique environnementale, politique de la santé, protection sociale,…

En choisissant de sortir du territoire européen, nous signifions que ces valeurs ont moins d’importance que les enjeux économiques qu’elles impliquent.

C’est vrai, nous conservons notre citoyenneté européenne, mais indirectement seulement, à travers notre citoyenneté française.

A l’inverse, en PTOM, nous aurons moins d’obligations européennes, mais nous serons aussi moins européens, ou des européens de seconde zone.

Si on regarde les autres PTOM que l’on souhaite rejoindre : la plupart étaient des pays indépendants, membres du Commonwealth, de la Couronne des Pays-Bas, etc… aucun n’avait préalablement de
lien d’intégration réel au sein d’un pays européen métropole, si ce n’est le Groënland ! Certes Saba, St Eustache et Bonnaire sont sur le chemin vers une intégration plus forte et seront d’ici peu
(processus engagé en 2007) commune des Pays-Bas.

Aucun n’a fait le choix du PTOM, c’est le PTOM qui s’est imposé à eux. C’est le cas aussi des autres territoires d’OM français autres que les 4 DOM. Aucun PTOM d’aujourd’hui n’a fait la démarche de
sortir de l’Europe, au contraire certains cherchent même à devenir RUP, comme par ex Mayotte. Qui dit que demain Saba St Eustache et Bonnaire ne voudront pas passer en RUP également ?
Si nous demandons à sortir, nous serions donc le premier PTOM ex RUP, et peu-être le seul.

Sur le contenu lui-même du nouveau statut, le statut de PTOM que vous nous proposez de rejoindre n’est ni plus ni moins qu’un statut d’association avec l’Europe comme l’est celui entre l’Europe et
les pays ACP (Afrique Caraïbe Pacifique). Il se trouve qu’il est un peu différent parce qu’il s’applique à d’anciennes colonies des pays européens, mais concrètement cela ne change pas grand
chose.

Nous choisissons ce soir de sortir de cet idéal communautaire, alors que nous en faisons aujourd’hui partie. Personnellement je le déplore.

Institutionnellement nous perdons aussi du poids au sein de l’Europe

Depuis deux décennies, les territoires ultrapériphériques s’organisent pour défendre leurs spécificités. Ces spécificités sont inscrites noir sur blanc dans les traités depuis 2001. Les RUP
travaillent ensemble et chaque année se réunissent dans la conférence des présidents.
Ce statut deRUP n’est pas figé. Il est toujours possible de demander que telle ou telle spécificité soit reconnue aux RUP au sein de l’Union, par exemple dans les règles commerciales avec des pays
tiers.
En sortant du statut de RUP, on se prive de ce levier d’influence au niveau européen, qui existe mais pas à un tel niveau au sein des PTOM.

2 / Economiquement nous n’avons rien à gagner, ou si peu

Il est souvent question des aides européennes. En RUP on ne toucherait plus rien. Je vous rassure, en PTOM encore moins. Donc sur ce plan, les deux statuts se valent. Invoquer cet argument pour
sortir de l’Europe, ca veut dire que jusqu’à maintenant, dans l’Europe, seules nous importaient les aides financières.

Je prendrais 3 exemples qu’on cite souvent pour appuyer notre demande de sortie : la viande, l’essence, les climatiseurs.

Moi je trouve que la réglementation européenne est bonne, qui interdit depuis 1986 l’usage des hormones de croissance, et qui organise une tracabilité de la viande, du producteur au
consommateur.
Qui plus est, le surcoût en bout de chaîne reste raisonnable : à AMC par ex, l’entrecote US est à 25 €, la française à 27,5 €, soit 10% d’écart.

Pour l’essence, l’idée même de sortir de l’Europe pour pouvoir commercialiser une essence à fort taux de benzène et économiser qq centimes par litre n’est pas concevable. Dire cela, c’est
accepter que même la santé des habitants a un prix ! 

Quant aux climatiseurs, ceux qui ne respectent pas les normes européennes sont réputés être nettement moins chers. Ils sont aussi beaucoup plus polluants.

Par ces 3 exemples, on voit que l’Europe cherche à préserver la santé de ses ressortissants, et la qualité de l’environnement. Selon moi ni la santé des habitants, ni la qualité de notre
environnement ne doivent être bradés.

Reste la question des taxes douanières.

Devenir PTOM permettrait à la collectivité de percevoir des droits de douane plus élevés sur les produits de son choix. Mais je dirais tout simplement : quel intérêt pour St Barth
aujourd’hui ?

Le budget de la Collectivité est déjà suffisamment excédentaire pour chercher à le gonfler davantage.
Et au final, qui paiera les taxes douanières ? Le consommateur, qu’il soit résident (et ses fins de mois sont de plus en plus difficiles) ou touriste (et on en a déjà de moins en
moins).

Si le but des droits de douane est d’abonder le budget de la collectivité, créer de nouvelles taxes ne fera que ralentir l’activité et aller à l’encontre du but recherché. Trop d’impôt tue l’impôt.
Et il serait tout aussi simple de modifier le taux des droits de quai.

Si le but des taxes est de pénaliser telle ou telle catégorie de produits, par ex les produits polluants ou énergétivores, il ne tient qu’à nous d’augmenter la taxe sur l’essence, d’instaurer une
taxe carbone locale, ou tout autre mécanisme similaire. Ou de favoriser la consommation de produits vertueux.

Nous avons déjà toutes les cartes en main pour mener une politique fiscale plus souple, il n’est donc pas point besoin de sortir l’artillerie lourde du changement de statut
européen.

La seule chose sur le plan économique qui pourrait éventuellement me faire penser différemment est que l’on veuille indexer notre monnaie sur le cours du dollar. Je pense qu’on n’en est pas là
et que la question ne se pose même pas.

3 / Politiquement, ça ne changera rien

Un des arguments pour sortir du statut de RUP est que nous serions plus libres d’appliquer les politiques de notre choix dans les domaines de compétence qui sont les nôtres : fiscalité, urbanisme,
environnement, transports, tourisme,… pour y réaliser des politiques spécifiques adaptées à notre territoire.

Ce même argument avait été mis en avant pour demander ces prérogatives pour le passage en COM.

Or je constate que pour les domaines dans lesquels nous sommes compétents, soit nous avons repris les mêmes règles ou presque que dans le codes nationaux (urbanisme –
environnement), soit nous n’avons aucune politique spécifique (tourisme). Seul le domaine fiscal fait exception à la règle et encore les relations fiscales entre l’Etat et la
Collectivité ne sont pas encore définies.

Je ne vois donc pas l’intérêt aujourd’hui de demander à avoir encore plus de marges de manoeuvre puisque nous n’utilisons déjà pas assez celles dont nous disposons.

En conclusion sur le fonds, je trouve regrettable qu’on brade une partie de nos valeurs pour quelques bénéfices économiques et pour une liberté de gouvernement qui ne sera qu’illusoire.

Sur la forme dans laquelle on a mené ce débat.

Je constate avec regret que la population n’est pas plus impliquée que cela dans le choix que l’on fait ce soir. Quand j’en parle un peu autour de moi, seules quelques personnes ont un avis
tranché, les autres me disent être intéressés mais ne pas comprendre tous les enjeux.

Pour appuyer notre demande de passer de commune en C.O.M on a consulté la population, qui s’est fortement exprimée en faveur du changement de statut. Pour appuyer notre demande de changement de
statut au sein de l’Europe, nous aurions gagné à procéder de la même façon.

Si la demande de changement avait été massive, cela aurait donné du crédit à notre demande ; si elle avait été balancée, on aurait pu éviter de demander un changement de statut non souhaité par nos
concitoyens.

C’est pour cela que je vous demande ce soir si on peut décider d’organiser un référendum local sur cette question, après des débats publics.

Si vous ne souhaitez pas que l’on consulte la population sur ce sujet, nous ne serons donc que 19 à décider de ce changement de statut. Dans ce cas, j’aimerais que chacun des élus exprime
les raisons qui motivent son vote.

En ce qui me concerne j’estime, pour toutes les raisons que j’ai développé auparavant, qu’il est important de rester en RUP, et à tout le moins, qu’il n’y a aucune urgence à statuer sur
cette évolution statutaire
. Installons déjà correctement la COM et voyons ensuite, sereinement, si nous décidons ou non de sortir de l’Union Européenne.

3 pensées sur “Sortie de l’Europe : pourquoi j’ai voté « non »

  • 14 octobre 2009 à 8 h 02 min
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    Dans l’ordre du jour, le vote était-il prévu? Je n’ai pour ma part lu que le terme « débat ».Au point que je me demande si, pour un sujet aussi important les problèmes d’environnement n’étaient pas
    un leurre pour détourner ce sujet d’une consultation publique

  • 14 octobre 2009 à 1 h 31 min
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    Quelle erreur en effet !
    La politique de l’autruche dans un monde violent !

  • 17 octobre 2009 à 3 h 28 min
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    Je ne sais pas combien vous êtes au conseil territorial, mais j’espère que ce vote n’a pas été fait sans que toute la population aie été avertie. Y a t’il eu un référendum avant de prendre une
    telle décision?

Commentaires fermés.