En Kanaky-Nouvelle-Calédonie, l’environnement nuit gravement… aux affaires !


Tribune de Bruno Van Peteghem

Située dans l’océan Pacifique Sud,
• à 1200 Km des côtes Est de l’Australie,
• et à 1200 Km, au Nord Ouest, de la Nouvelle Zélande,
la Kanaky-Nouvelle-Calédonie est un archipel, dans la zone mélanésienne, qui compte environ 235 000 habitants sur 20 000 Km2, ou sur 40 000 Km2 si l’on inclue les lagons coralliens.

Elle possède 1/4 de la réserve mondiale de nickel.

Les 2 ethnies dominantes qui la composent principalement, ont une approche de l’environnement différente, que l’on peut résumer, schématiquement, de la manière suivante :
• Pour l’une, les Kanak, habitants premiers, elle est basée sur un développement harmonieux, solidaire et équilibré : « L’homme appartient à la terre »,
• Pour l’autre, les tenants européens du pouvoir politique et financier, elle est basée sur une finalité productiviste : « La terre appartient à l’homme ».

Cette divergence, engendre des conflits intercommunautaires qui s’expriment sur la scène politique.

Contrôlant l’exploitation du Nickel et du Cobalt, depuis presqu’un siècle, l’État français n’a jamais mis en place de législation environnementale dans ce pays.
Et depuis l’Accord de Nouméa, signé en novembre 98, la fragmentation du contrôle environnemental en 3 provinces partiellement souveraines et autonomes :
– La Province Nord,
– La Province Sud,
– La Province des îles Loyauté,
interdit, toute approche écologique globale.

En résumé, voici ce qui se passe :

La Kanaky-Nouvelle-Calédonie est couverte d’une énorme nappe ophiolitique très riche en métaux : Fer, Nickel, Cobalt, Manganèse, Chrome. Il y a, par exemple dans le nord, le massif du Koniambo,
qui est le gisement le plus riche du monde en Ni, et qui devrait faire l’objet, d’ici 2011, d’une usine développée par la société canadienne Falconbridge, rachetée depuis peu par le Groupe minier
suisse XSTRATA.

Historiquement, depuis la fin du XIXème siècle il y a eu de nombreuses exploitations minières qui ont déjà énormément perturbé, ou détruit, l’environnement terrestre et littoral.

Le schéma général est le suivant et commence toujours par la destruction totale du couvert végétal : ici on assiste à l’implantation de l’usine de Goronickel en 98 ; puis, la mise à nu du
sol continue : on voit ici les restes d’une forêt en fond de vallée, détruite récemment, et qui servira de lieu de stockage pour les résidus épaissis de Goronickel ; l’érosion naturelle accentue
toujours le travail de l’homme, et, avec les rejets de millions de tonnes de stériles miniers dans les pentes, le ruissellement de tous ces sédiments irresponsables entraîne l’encrassement des
rivières; et puis, c’est l’arrivée des sédiments dans les lagons.

Pour la partie marine, la perturbation en amont provoque donc, essentiellement, une hyper sédimentation lagunaire, un étouffement des platiers des récifs coralliens frangeants, la
turbidité des rivières et des eaux du lagon avec, en fin compte, un envasement des fonds côtiers.

La situation s’était stabilisée, dans les années 80, avec la SLN (Société Le Nickel, filiale du Groupe ERAMET) qui, à Nouméa, transformait les minerais des différentes mines en lingots ou en
grenaille de ferro-nickel, exportés ensuite en Europe et au Japon. Il y avait eu de louables tentatives de stabilisation des remblais, et même, de re-végétalisation des anciens sites miniers.

Il n’y avait donc, pratiquement, plus qu’un seul pollueur principal.

Mais, depuis une dizaine d’années se sont développés deux énormes nouveaux projets miniers : celui de Falconbridge-XSTRATA au nord, et celui de Goronickel avec INCO-VALE, filiale du Groupe minier
brésilien CVRD, au sud.

Il faut bien comprendre que ces projets industriels, qui à l’échelle mondiale sont gigantesques, ont donc, dans une petite île du pacifique, peuplée de 235 000 habitants seulement, de
monstrueux effets environnementaux.

Le projet du nord, par exemple, prévoit la création d’un port en eaux profondes pour faire accoster des minéraliers de gros tonnages. Pour acheminer ces bateaux, ils vont creuser dans le lagon
NordWest un chenal d’accès de 4 km de long, 250 m de large et 12 m de profondeur. Les 2 millions de m3 de sédiments retirés du lagon seront rejetés sur la pente récifale externe par 1000 m de
profondeur.

Les soi-disantes études d’impact, payées par les compagnies minières, essayent de montrer que l’effet sur l’environnement sera négligeable.

Le projet Goronickel, dans le sud de l’île, utilise une technique expérimentale d’extraction des métaux dans les latérites, par lixiviation. Il s’agit de faire passer le minerai
dans un bain d’acide sulfurique sous pression et à 400°C, pour dissoudre les métaux puis, de neutraliser les boues acides par du carbonate de calcium.

Pour sa simple implantation, cette usine a déjà détruit plusieurs centaines d’hectares de végétation, dans une zone où elle est endémique à 89%.

On ne parle même pas de la fragmentation des habitats due aux nombreuses routes et zones de dépôts de matériel.

Un port en eau profonde a été installé dans la Baie du Prony qui, aux dires de tous les spécialistes, présente des caractéristiques écologiques uniques au monde.
(GABRIE, C., CROS, A., CHEVILLON, C., DOWNER, A. (eds), 2005. – Analyse éco-régionale marine de Nouvelle-Calédonie. Atelier d’identification des aires de conservation prioritaires 92 p).

Un tapis roulant réunit ce port à l’usine, et l’eau douce nécessaire au procédé va être pompée dans le lac de Yaté.

Une fois l’usine en route, il faudra bien faire quelque chose des déchets. Deux solutions complémentaires sont développées :
• Un très long tuyau pour évacuer les rejets liquides en mer,
• Et un bassin de décantation pour les résidus plus solides ayant pour dimensions :
1000 mètres de long x 1 000 m de large et 80 m de profondeur.
Pour limiter les risques de passage des contaminants dans la nappe phréatique le fond de ce bassin sera couvert d’un simple « liner ».

Bien sûr, cette énorme cavité risque fort de drainer la nappe phréatique et donc, d’assécher une large auréole, détruisant encore plus de végétation !

Il n’y a pratiquement pas eu de vraies études d’impact sur cette destruction des écosystèmes terrestres et encore moins sur l’évolution des milieux perturbés. Quant à la méthode
de consultation, somme toute très classique, elle fut une véritable provocation à la morale : un document volumineux de 2200 pages, en anglais, soumis à la population en moins de 20 jours et
pendant les vacances scolaires.

Et malgré l’avis défavorable émis par les services administratifs provinciaux, malgré les remarques pertinentes des ONG et l’avis réservé du Commissaire Enquêteur, l’exécutif du projet
passa outre, sur la seule et unique foi d’un rapport minimaliste d’experts de l’INERIS !
http://www.ineris.fr/

Comme les spécialistes de l’environnement et de la communication de INCO-VALE sont très expérimentés, et surtout très riches, ils n’ont eu aucun mal à détourner l’attention des politiques et du
public vers l’extrémité du tuyau qui va rejeter, dans le lagon, une bouillasse riche en manganèse avec un peu de chrome hexavalent. À grand renfort d’experts et de contre-experts, on va estimer
la teneur en Mn qui, comme chacun sait, n’est pas toxique.

L’IRD, qui a su mettre en avant ses compétences, va faire un suivi des métaux lourds, dont le Cr6, dans le lagon et sur plusieurs années. Donc, grâce à l’initiative de son Directeur, monsieur
Fabrice Colin, l’IRD est considéré comme « l’expert » grâce auquel l’environnement est sous surveillance.

Comme n’arrête pas de le clamer la Province Sud, le principe de précaution est respecté ; il s’agit bien de développement durable et ils ne font que suivre les recommandations des experts !

Je pense, qu’on se moque du monde, que le principal impact environnemental se situe à terre, avec l’implantation des usines elles mêmes : traitement du minerai, centrales d’énergie, bases
vie, dépotoirs… et, tous les problèmes d’érosion qui en résultent, y compris l’hyper sédimentation lagunaire.

Je pense, qu’il ne s’agit pas d’un simple problème de pollution mais bien, de menaces sur l’existence même, des espèces animales et végétales. En effet, la richesse spécifique est très
forte sur ces terrains latéritiques avec une moyenne de 80% d’endémisme et des aires de répartitions très réduites
.

À l’échelle mondiale, ce petit pays est classé parmi les 10 « hot spots » de la planète, où les milieux sont à la fois riches et menacés.

Il y a donc, vraiment, un risque, grave et imminent, de disparition d’espèces sur la surface de la terre. Il s’agit donc bien, à proprement parler, d’un génocide !

Et de cela, personne ne se préoccupe.

Qu’on le veuille ou non, l’IRD est en train de cautionner cette destruction de l’environnement et cette menace sur la biodiversité. Est-ce très glorieux pour un organisme scientifique au XXIe
siècle ?

J’aimerais bien avoir tort, mais le mensonge est permanent, et, en ce moment l’hypocrisie des mineurs, des politiques et de l’IRD dépasse les bornes.

Notre petite association, Corail Vivant, a bien tenté de réagir en proposant, dès l’an 2000, un dossier pour le classement intégral des récifs coralliens et des écosystèmes
associés sur la Liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Avec une innovation majeure que nous aimerions vous soumettre ici, et qui pourrait devenir la pièce maîtresse d’un programme pour que la
Kanaky-Nouvelle-Calédonie, et les autres pays océaniens qui bénéficient du Fonds Européen de Développement, ne deviennent pas un jour « une des plus belles poubelles du pacifique ».

Dans cette éventualité de « no take » intégral, et pour inclure le développement industriel dans l’évolution sociétale, nous avons imaginé la création du concept de « zone sacrifiée
».
Les plans de gestion seraient mis en forme sur le principe d’application du système dérogatoire en vigueur dans le Code du Commerce Extérieur français et tel qu’il est appliqué par
les services des douanes à savoir : « …Toutes les importations sont interdites, sauf celles qui sont autorisées ». Et donc mieux contrôlées, mieux surveillées par la force de répression et les
fonds publics, tout en impliquant la responsabilité des fonds privés.
La « zone sacrifiée » deviendrait ainsi une zone autorisée exclusive.

Le modèle de développement « kanak-néo-calédonien » deviendrait alors un exemple et un modèle de réussite mondiale qui inspirerait, à coup sûr, la planète entière.

Actuellement, hélas, en Kanaky-Nouvelle-Calédonie comme ailleurs, l’environnement nuit toujours gravement… aux affaires !

Et Surtout, en l’absence de Code de l’Environnement opposable, les recours sont quasiment nuls, voire impossibles ! Et c’est bien le règne de « Qui paye, gouverne !»

Halte donc, aux projets de destruction massive !

Et je terminerai par cette parole d’Elie Wiesel :
« Tout peuple qui ne connaît pas son histoire, est condamné à la revivre. »

Bruno VAN PETEGHEM

4 pensées sur “En Kanaky-Nouvelle-Calédonie, l’environnement nuit gravement… aux affaires !

  • 12 novembre 2008 à 0 h 49 min
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    Jusqu’ici j’appréciais la lecture de votre blog.Sans parti pris, je déplore l’introduction très binaire et schématique de votre article, qui ne traduit pas du tout la réalité sociale du territoire et nuit à la crédibilité de la suite (alors que bien des éléments sur les projets miniers et leurs impacts sont fondés)Il y a ici bien plus que 2 communautés.Dans les associations de protection de l’environnement, la grande majorité des adhérents sont d’origine européenne (et même le plus souvent zoreille) ce qui est regrettable mais bien réel. Sans doute les populations des tribus ont elles bien d’autres problèmes à résoudre avant d’avoir le « loisir » de penser à l’environnement exceptionnel qui est le leur. Les « conflits intercommunautaires » ont, à mon avis, bien plus à voir avec le partage des richesses (minières, donc peu durables) qu’avec une divergence sur la vision de la terre.Le projet du Nord, dont vous signalez l’impact à juste titre, est porté à 51% par la Province Nord, à forte majorité Kanak. Sous couvert de rééquilibrage, tout semble permis à l’industriel actuel. Les études d’impact (portée par un précédent actionnaire) étaient plutôt bien faites, mais quid du suivi et du respect des prescriptions ? Et si la législation est effectivement moins indigente qu’en province Sud, elle est nettement moins contrôlée et appliquée.La réalité est bien plus complexe que le schéma binaire qui sert de chapeau à votre article, je ne crois pas qu’une telle simplification serve la cause de l’environnement.

  • 12 novembre 2008 à 9 h 04 min
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    Bonjour Madame, bonjour Monsieur, je vous remercie pour cette lecture du blog et pour vos commentaires avisés concernant notamment la question « … du suivi et respect des prescriptions », toujours sans solutions à ce jour, si ce n’est que les conséquences des accidents sont toujours à la charge de la société civile (et donc des fonds publics). Je me permets toutefois de préciser que le « chapeau » (schéma binaire = Kanaky Nouvelle-Calédonie) n’est absolument pas éthnique, mais fait référence à l’histoire et à la reconnaissance du peuple premier, ce qui n’engage que moi. Dans ce pays, on est toujours le z’oreille de quelqu’un ! Le sujet principal concerne surtout, et tout particulièrement, l’hypocrisie de l’IRD, « l’expert » à la fois juge et partie, qui permet de valider les choix politiques.La position de l’association Rheebu Nuu (www.rheebunuu.com), sur le projet du Sud, est tout à fait intéressante et innovante à plus d’un titre, me semble-t-il, et fait preuve d’une maturité à laquelle nous n’étions pas habitué au sein des ong militantes qui avaient (parfois) un peu trop tendance à mettre en avant un « bouclier kanak » pour faire passer ou justifier les actions, au demeurant fort louables (malheureusement et bien souvent « aux yeux des z’oreilles » uniquement, comme vous le signalez).Bien à vous.

  • 26 novembre 2008 à 5 h 48 min
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    Le positionnement politique de Bruno n’engage que lui et, en aucun cas, CORAIL VIVANT. L’inscription au patrimoine mondial a bien d’autres objectifs. Le principal étant d’amener les populations à se mobiliser pour les questions environnementales. Le second étant de se mobiliser ensemble en dépassant les facteurs de divisions politiques, culturels ou ethniques. Sur ce plan il y a un très net progrès qui contraint industriels et élus à beaucoup plus de prudence.Sans être forcément optimiste notre association a toujours eu pour objet de dégager des voies positives et constructives. Cela ne nous empêche pas de travailler en symbiose avec des associations comme EPLP, Action Biosphère ou CODEFSUD ou WWF qui, chacunes dans leur forme d’engagement abordent ces questions sous un angle particulier.
    A propos du nickel, le choix de la transformation sur place a été fait. C’est plus un choix de société qu’un choix économique : maîtriser le plus loin possible la transformation de ce non ferreux et, partant de là, gagner de l’emploi ainsi qu’une certaine présence sur ce marché.
    Que Bruno parle en son nom est une bonne chose car il est un homme d’engagement sincère. Mais il apparaît excessif quand il associe Corail Vivant à son approche toute personnelle et « binaire » d’autant que le président du Mouvement Démocrate a soutenu avec force l’intérêt, en l’état, de l’Usine du Sud qu’il a visité et n’a pas daigné aller à la rencontre des associations environnementales.

  • 14 février 2009 à 3 h 52 min
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    Bonjour,je suis scandalisé de voir que l’Etat Français n’accorde pas davantage d’importance à l’écologie de cette terre de rêve. Même si ces deux projets créent un bon nombre d’emplois, il est évident que la destruction des milieux naturels sur ces zones géographiques est imminente. C’est honteux.

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