L’inquiétant parcours du « chlordécone perdu »

Article paru dans Le Monde du 24 juin 2009 :

Les Antilles ne sont pas les seuls territoires contaminés par le chlordécone, un polluant extrêmement persistant, soupçonné d’être cancérigène, employé comme pesticide dans les plantations de bananiers en Guadeloupe et en Martinique entre 1981 et 1993. Au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), la sénatrice Catherine Procaccia (UMP, Val-de-Marne) et le député Jean-Yves Le Déaut (PS, Meurthe-et-Moselle) présentent mercredi 24 juin un rapport dans lequel ils retracent, pour la première fois, le parcours du « chlordécone perdue ».

Selon les informations des rapporteurs, quelque 1 600 tonnes ont été produites aux Etats-Unis entre 1958 et 1976. La fabrication a ensuite été interdite, les ouvriers et les riverains des sites de production présentant des atteintes neurologiques graves. Environ 200 autres tonnes de chlordécone ont ensuite été produites au Brésil. Or, 300 tonnes seulement ont été utilisées aux Antilles.
Le reste a été exporté dans d’autres régions du monde, en particulier dans l’ancienne Allemagne de l’Est (RDA), en Pologne, peut-être en Ukraine. Le pesticide a également été utilisé au Cameroun et en Côte d’Ivoire.

« On pourrait potentiellement se trouver en présence d’un problème sanitaire et environnemental de dimension mondiale, qui devrait envoyer à une coopération internationale », écrivent les auteurs. Le chlordécone n’étant plus produite ni utilisée aujourd’hui, ses résidus ne sont plus recherchés. Une enquête sur les zones d’épandage dans le monde est pourtant impérative, selon les rapporteurs.

CANCER DE LA PROSTATE

Les effets sanitaires d’une exposition à de faibles doses de produit – par l’alimentation et l’eau potable – ont été dénoncés par le cancérologue Dominique Belpomme, dans un rapport publié en septembre 2007. Il mettait en lien la pollution et l’augmentation des cancers de la prostate aux Antilles. Les auteurs contestent ces résultats, qualifiant de « peu solides » les méthodes de M. Belpomme. Cependant, ils n’écartent pas le risque sanitaire. « L’occurrence du cancer de la prostate est très marquée ethniquement (…), mais cette prévalence chez certaines populations n’exclut pas que l’exposition aux pesticides puisse être un facteur aggravant », écrivent-ils, renvoyant à plusieurs études épidémiologiques dont les résultats seront connus prochainement.

La chlordécone pose un problème particulier du fait de sa persistance dans l’environnement. La molécule, très stable, peut rester présente dans les sols entre un et sept siècles, et continuer à transiter vers les produits cultivés. Les sédiments servent aussi de vecteur de contamination des eaux de rivière, puis des milieux marins. Le polluant s’accumule dans les graisses et se concentre dans la chaîne alimentaire, « en particulier les milieux aquatiques ».

Or, les auteurs relèvent que la contamination potentielle des poissons et des crustacés a été oubliée dans le plan élaboré en 2008 pour limiter l’exposition de la population antillaise – un plan jugé efficace, en revanche, concernant les fruits et les légumes. Les rapporteurs jugent « urgent » de localiser la pollution des milieux marins et de multiplier les analyses sur les produits de la mer, très consommés aux Antilles.

Ils soulignent aussi l’absence de connaissance sur la contamination des eaux fluviales et souterraines. La cartographie des terres polluées (plus d’un quart des zones agricoles des deux îles) avance en outre trop lentement. Les auteurs recommandent de rechercher des méthodes d’analyse « plus fiables, plus rapides et moins coûteuses ».

Gaëlle Dupont