Vent cyclonique et impact sur les toitures
Le passage des cyclones Irma et Maria a dévasté une grande partie du bâti des îles qu’ils ont touchées. Il est intéressant d’examiner les dégâts occasionnés et de les comparer à la théorie sur l’écoulement des fluides, afin d’en tirer des enseignements pour limiter l’impact des prochains cyclones.
Tout d’abord, rappelons que ces deux cyclones, de force 5, étaient très puissants, avec des vents soutenus de 297 km/h dans le mur et des rafales de 360 km/h (pour Irma). La pression moyenne exercée sur un objet situé dans un tel champ de vitesse est énorme. Le théorème de Bernoulli permet d’approximer le surcroît de pression moyenne exercée par un tel vent à ½ ᵨᵥ2, où ᵨ mesure la densité de l’air et ᵥ la vitesse du vent. Par rapport à un cyclone de catégorie 1-2, avec un vent soutenu de 150 km/h, la puissance moyenne des vents est donc multipliée par 4 ! Le calcul donne une estimation de près de 6000 Pascals, soit 600 kg/m2.
Ces chiffres expliquent globalement l’ampleur des dégâts observés, le fait qu’un certain nombre de bâtis se sont effondrés sous l’effet de la pression, et que de nombreux toits ont été décollés, totalement ou partiellement.
L’existence de tornades localisées a aussi été évoquée. Dans de tels écoulements, la dépression est accrue, la vitesse des vents aussi, et les dégâts sont considérables. Cela pourrait expliquer que certains bâtiments aient été totalement détruits alors que d’autres très proches et à la construction similaire sont restés dans un état correct.
Je mets de côté l’analyse de ces phénomènes plus complexes et me concentre pour la suite sur les effets des écoulements laminaires.
Quand un vent fait face à un élément, un mur par exemple, il se comporte de la sorte :
Le tourbillon à l’avant du mur crée une forte pression positive (avec les effets observés sur les volets et baies vitrées). Et à l’arrière de l’obstacle on observe une pression moindre que la moyenne du milieu environnant.
Si maintenant l’écoulement laminaire arrive sur un toit :
On observe que pour les toits à forte pente, l’écoulement se traduit par une pression positive sur la face exposée du toit, et une légère dépression à l’arrière. Les toits sont faits pour résister à des pressions positives, qui contribuent à plaquer la tôle ou le revêtement sur la charpente. Donc il n’y a pas de problème d’effondrement, la charpente étant généralement conçue pour être résistante.
Pour les toits moins pentus, l’écoulement laminaire exerce un effet de succion sur le toit, sur le même principe que la portance d’une aile d’avion. Et à l’extrême, pour les toits plats, la dépression se mélange avec la zone de pression négative exercée sur l’ensemble du bâtiment.
Autrement dit, la théorie nous explique que plus un toit est pentu, moins il y a de force d’aspiration qui s’exerce.
Si on se base sur les abaques, le coefficient de pression relative est nul pour un angle de toiture de 45°. Pour un angle de 30°, une force d’aspiration équivalente à 20% à 50% de la pression moyenne s’exerce sur le toit : 20% dans la partie haute du toit, 50% dans la partie basse, donc plus sollicitée.
Pour une inclinaison de toiture 15°, la force de décollement est équivalente à la pression moyenne extérieure en partie basse, 30% en partie haute.
Ces calculs s’appliquent à des vents orientés perpendiculairement à la toiture (cas d’une toiture à 2 pans).
Toits à faible pente, exposés face au vent
La construction en 4 pans avec une forte pente permet donc de limiter les effets de décollement du toit, quelle que soit la direction du vent.
Pour les vents obliques, par exemple venant à 45°, les effets sont mixtes :
On observe une dépression très forte sur l’angle d’attaque du vent. Et la traduction réelle du graphique ci-dessus :
Toit exposé d’abord à des vents venant à 45°, qui ont abîmé la partie basse et plate conformément au graphique ci-dessus,
puis, après l’œil, par des vents de Sud qui ont mis à mal la partie plus pentue, directement exposée et déjà abîmée.
Toutes ces considérations théoriques sont confortées par les observations sur le terrain :
– plus les toits sont pentus mieux ils ont résisté, si on ne tient pas compte des impacts d’objets volants. Les casquettes ont le plus souvent cédé.
– les anciennes cases en bois respectent ces règles de construction et dès lors que leur structure globale était solide, elles ont relativement bien résisté. De même pour les habitations inspirées de l’architecture des cases à vent : des chéneaux qui « protègent » un toit lui-même pentu.
– pour les toits qui se sont partiellement envolés, les parties du toit qui se sont décollées se situent généralement en partie basse du toit et sur les angles.
– les toits « petits » semblent avoir mieux résisté que les toits d’une plus grande surface.
La nouvelle carte d’urbanisme rappelle la nécessité du toit 4 pentes, avec une pente de toit comprise entre 30 et 45°. Elle préconise aussi la construction des habitations en plusieurs modules.
Au-delà du respect de la tradition, de l’esthétique globale des quartiers et de l’intégration du bâti dans le paysage, on vérifie que ces règles « de bon sens » contribuent à limiter les risques de dégâts occasionnés par les vents forts.
Cette réflexion rapide sur l’impact des vents cycloniques sur les toitures permet déjà de tirer des enseignements instructifs et des pistes de réflexion supplémentaires. Elle mériterait d’être approfondie par des calculs plus précis, étendue aux bâtiments industriels, argumentée par un inventaire plus exhaustif des dégâts occasionnés sur le bâti du territoire.
Les observations pourraient alors être corrélées avec le positionnement géographique et l’environnement des constructions. On pourrait ainsi paramétrer les effets de site et y moduler la vitesse du vent, par exemple en distinguant les zones abritées de celles soumises à effet Venturi. Typiquement, une construction en crête de morne ou dans une coulée orientée dans le sens du vent sera soumise à un vent plus violent, et donc avec des risques à l’avenant (du carré de la vitesse).
Cette réflexion mériterait aussi d’être complétée par une étude des conséquences du vent sur les façades (murs, baies vitrées, huisseries, etc…), qui ont été l’autre point de fragilité le plus souvent observé.
Pour aller plus loin :
Pressions du vent et phénomènes d’aspiration sur les toits
Actions du vent sur les structures
Efforts climatiques, effets du vent